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29. On pourrait davantage définir une telle publication de catalogue d’exposition (mais les frontières sont mouvantes).

JAAR, Alfredo, Two or three things I imagine about them, 1992
20 x 11,5 cm, cartes
16 x 11 cm, 44 pages


Je me rappelle avoir choisi cet ensemble d’Alfredo Jaar parce que je suis touchée par sa pratique, par sa recherche toujours engagée, par sa recherche de justesse. Ces derniers temps je me reprends souvent à penser à la phrase d’introduction de son site qui est aussi le titre d’une de ses publications : « It is difficult » ; à cette phrase d’Yves Lacoste, « La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre[28] ». Je la retrouve dans cet ensemble.


Two or three things I imagine about them est constitué d’un passeport[29] chilien et de trois cartes sur lesquelles figure cette citation : du Brésil, du Nigéria, et de Hongkong, entourés d’un bandeau.

 

Le passeport ouvre et se ferme sur une image de frontière, de barbelés. En sept langues, en rouge, on retrouve la phrase suivante : « les portes s’ouvrent ». Ces sept langues sont issues d’ États dans lesquels les problèmes d’immigration sont émergents, mais qui ont également des politiques d’intérieur très restrictives : l’anglais, le cantonnais, le français, l’italien, l’espagnol, le portugais et le japonais.


Il contient également des reproductions de photographies issues de l’exposition de l’artiste à la Whitechapel Gallery, ainsi qu’un texte de Patricia C. Philipps. Il s’agit d’un texte explicatif qui à la fois parle du travail d’Alfredo Jaar mais qui ouvre surtout sur les questions d’identités, de nationalité, d’espace.


« Le passeport identifie ; il définit un nom, un visage, un espace et un lieu de naissance. Il nomme un individu et ouvre ou obstrue les accès à des régions du monde. Ce document de passage est une vérification d’un individu et de son identité nationale »


Dans l’ensemble font également partie trois cartes : une du Brésil, une du Nigeria, une de Hongkong. Elles sont appelées des projection maps ; et c’est bien de projection qu’il s’agit, des idées que nous nous faisons de l’espace et de l’autre. Ces trois cartes sont aussi trois photographies : trois images que nous nous faisons d’un autre lointain, une idée exotique d’individus qui ne sont pas blancs, qui ne sont pas occidentaux, qui ne sont pas privilégiés. Il y a dans ces photographies que l’on peut regarder avec les mains, comme des ténèbres. Car dans l’idée que nous nous faisons de l’autre existe aussi une part de réalité, une de ces réalités lointaines que nous lisons dans la presse, à la télévision, sur internet ; dont les images nous parviennent toujours avec cette latence, ce retard dû à la distance et à l’histoire.


Le passeport et les cartes : il s’agit là d’un kit pour les voyageurs, pour les touristes, les militaires, les artistes. Un kit de déconquête, un kit de déconstruction.


Comment voyager les yeux ouverts ?

 

On peut retrouver cet ensemble à 50€ sur eBay. Il a été tiré à 1000 exemplaires.

28. Lacoste, Yves, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, Maspero, Paris, 1976

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