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Capture d’écran 2016-03-16 à 22.01.46.pn

« So, the ideas of language, generational transmission, and translation started to interest me: the way we speak, the way we are, the way we think, and even the way we dress. I was fascinated by the fact that in the same family—composed of three generations—there were three countries of birth and three languages. »


Zineb Sedira

Capture d’écran 2016-03-16 à 22.01.46.pn

BOUTHEYNA, Bouslama, Like a natural woman, 2013
41 x 27,5 cm, 5 affiches


 

C’est un drôle de moment que je passe, au cabinet du livre d’artiste à Rennes, à sortir un ensemble d’un emballage plastique. Il y a un silence autour de moi, juste le type de la permanence qui travaille sur son ordinateur. Une petite pièce. Plus tard, il me dira, c’était un plaisir, reviens nous voir, il n’y a pas beaucoup de gens qui savent ce qu’est cet espace et qui viennent ici.


C’est une pochette brune, cartonnée, pliée en deux. On dirait une peau sur laquelle on aurait inscrit au rouge à lèvre le colophon. Je trouve en l’ouvrant cinq affiches et les paroles de Natural woman d’Aretha Franklin, écrites dans le même rouge. Les deux textes sont écrits dans deux sens différents sur cette couverture : paysage à l’extérieur, portrait à l’intérieur.

 
Les images font 41 x 27,5 centimètres, soit un A3+. Leur taille est aussi très proche de celle d’un urinoir d’angle. Drôle de hasard.


Sur les affiches sont imprimées des objets, photographiés comme des preuves, des exhibits


Exhibit A.
 

Oh, baby, what you’ve done to me
You make me feel so good inside
And I just want to be close to you
You make me feel so alive
You make me feel
You make me feel
You make me feel like
A natural woman
[10]


Exhibit B.
 

Cinq objets – ou série d’objets, cinq souvenirs.
Une pochette en cuir, un sac à dos, une collection de sacs à main, un pantalon et des plaquettes de médicaments. 


Exhibit C.


Bouslama Boutheyna est une artiste tunisienne. Elle vit et travaille à Genève.


Au dos, elle fait part de cinq expériences qu’elle a eu en tant que femme, en tant que fille d’une féministe et d’un communiste, tous deux musulmans ; de leur rapport à la religion, de son rapport genré à ces objets du quotidien. Son regard sur son expérience personnelle, de petite fille devenant femme prend la forme d’affiches, dont le protocole de représentation suit de près la photographie de mode. 


Il faudrait être naturelle. Il ne faudrait pas se maquiller. Il faudrait prendre soin de soi. Il faudrait aussi être indépendante. Il faudrait faire des enfants. Il faudrait être douce. Il faudrait être forte. Il faudrait être sûre de soi, mais pas suffisante. Il faudrait plaire. Il faudrait ne pas être superficielle.
Il faudrait être féminine.


Le regard personnel de Bouslama Boutheyna montre à quel point ces injonctions transitent à la fois par la publicité, par les films, mais aussi par les mots que nous prononçons.


Inévitablement je me rappelle mon père qui depuis toute petite me recommande de me comporter comme une fille et de surveiller mon poids.
 

En parlant de ses souvenirs l’artiste invoque ceux du lecteur, et a fortiori celui de la lectrice. Bouslama Boutheyna parle à la fois d’elle et des autres. Elle s’interroge, sur comment l’on grandit avec la religion, les parents, l’héritage et la société de consommation hétéronormée qui tout autour de nous continue de nous imposer une vision objectifiée de la femme ; sur comment la publicité, la télévision, l’histoire conditionnent les parents qui nous élèvent et qui nous éduquent.


Il y a ce garçon l’autre jour, à qui je racontais que ma grand-mère ne me trouvait pas tellement japonaise, qu’elle m’avait reproché de ne pas servir le saké comme une femme. Il m’a répondu : ça me fait penser à ma famille : mon père est vietnamien, ma mère est blanche comme tout. Par chance, je suis un garçon, mais ma sœur a eu beaucoup de réflexions de ma grand-mère paternelle, un peu traditionaliste sur les bords, parce qu’elle n’était pas assez féminine...


Il n’y a eu que 30 exemplaires de Like a natural woman. Je ne sais pas si on peut encore en acheter des exemplaires aujourd’hui. Je ne sais pas s’il a été distribué, s’il a été vendu, ni à combien il pourrait être acheté aujourd’hui. Ça me gêne un peu.


La section publication du site internet de la Haute École d’Art et Design de Genève, qui a édité cet ensemble et où elle a fait ses études, est en construction.

10. Like a natural woman, 1967, interprétée par Aretha Franklin et écrite par Carole King, Gerry Goffin, Jerry Wexler.

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