


22. London Calling, The Clash
VAN KESTEREN, Geert, Baghdad Calling, 2008
17x 25,5 cm, 388 pages
Je ne connais pas le travail de van Kesteren lorsqu’Andrea Copetti me propose de le lire. C’est un grand livre qui me paraît un peu abîmé et dont le titre en lettres capitales, noir sur rouge, frappe l’oeil. Lui aussi pèse lourd sur mes genoux, mais le poids dont il est fait me semble d’une autre nature que celui de Silent Histories que j’ai lu plus tôt.
Il n’y a pas de silence dans Baghdad Calling.
… calling to the faraway towns
Now war is declared, and battle come down
… calling to the underworld
Come out of the cupboard, you boys and girls
… calling, now don’t look to us
[…]
The ice age is coming, the sun’s zooming in
Meltdown expected, the wheat is growing thin
Engines stop running, but I have no fear
’Cause… is drowning, and I live by the river[22]
11 septembre 2001 : Attentats du World Trade Center.
Octobre 2002 : Rapport « Iraq’s Weapons of Mass Destruction Programs » de la CIA.
20 mars 2003 : Les Etats-Unis, soutenus par la coalition, déclarent la guerre à l’Irak.
2-12 avril 2003 : Bataille de Baghdad, qui mène à la chute du régime de Saddam Hussein.
1er mai 2003 : Discours de Georges Bush qui déclare la fin des « opérations de combat majeures ».
23 mai 2003 : Annonce de la dissolution de l’armée irakienne.
été 2003 : Montée de groupes de rébellion en Irak.
19 août 2003 : Attentat au siège des Nations Unies à Baghdad.
14 décembre 2003 : Arrestation de Saddam Hussein.
4 avril - 1er mai 2004 : Première bataille de Falloujah entre les Etats-Unis et l’armée irakienne, suite aux meurtres de quatre employés d’une société militaire américaine.
26 mars 2006 : Attentat à la Mosquée d’Or de la ville de Samarra en Irak. Début de la guerre confessionnelle entre Sunnites et Chiites.
30 décembre 2006 : Exécution de Saddam Hussein après jugement par le Tribunal Spécial irakien.
6 - 29 novembre 2006 : Seconde bataille de Falloujah.
18 décembre 2011 : Retrait des dernières troupes américaines du sol irakien.
Images et textes mêlés. Van Kesteren est un photojournaliste néerlandais. Il part à Baghdad entre 2003 et 2004 à l’annonce de la fin « officielle » du conflit irakien. À la suite de ce séjour et à partir des photographies qu’il y a prises, il produit un premier livre Why, Mister, Why. C’est un livre pour tenter de comprendre les mécanismes et les enjeux de l’occupation américaine en Irak. Le regard de van Kesteren est sans concession. Il produit des photographies d’urgence et de colère, aux antipodes d’une image qui serait belle et qui devrait plaire.
Il semblerait que Baghdad Calling en soit la suite logique.
Le photographe part à la rencontre des réfugiés irakiens dans les États connexes à l’Irak entre 2006 et 2007, soit trois ans après le discours de Bush en 2003. Ce sont leurs témoignages que l’on retrouve dans Baghdad Calling ; ce sont leurs images qui sont agrandies et transmises sur le papier journal. Cette fois il mêle leurs voix à la sienne, plonge le lecteur dans l’image de l’Autre, qui, même agrandie, même aussi proche, n’est pas plus nette pour autant. La rencontre des différentes expériences crée une vision composite et chaotique des conséquences de la guerre d’Irak.
Des photographies et des témoignages se suivent sur un papier semi-brillant, dans un format légèrement plus petit que celui du livre. D’autres photographies de moins bonnes résolution, imprimées sur du papier journal dentelé, s’insèrent dans l’ensemble. Une première friction s’opère, entre les images imprimées en laser et les autres, issues de téléphones portables sur papier mat. Il y a celles qui brillent, celles qui semblent presque tirées d’un magazine, qui évoquent le papier glacé. Il y a les autres. Il y a ces images brutes qui pêle-mêle affichent chiens et fumées, morts et paysages, portraits et intérieurs. Le quotidien des vies à Damas, Amman, Istanbul alternent avec celles de Baghdad, au passé, en décalé. L’image cadrée et définie, l’image spontanée et intime se chevauchent et se complètent, ponctuées par des dates et des lieux, imprimés par-dessus en rouge. Le sur-texte laisse comme un sentiment d’urgence, au fur et à mesure des pages que l’on tourne. L’impression laser vient faire briller une encre qui n’aurait pas séché.
C’est une publication dont le désordre apparent vient bouleverser les corps et les idées.
Il coûte, sans signature et sans frais de port, 30 euros. Il y a eu 2000 exemplaires de la version anglaise et 1500 de la version néerlandaise.
Plusieurs mois plus tard, à Marseille. Je suis en train d’enregistrer du son au milieu de la salle d’attente et il y a ces réfugiés de Syrie, d’Afghanistan, du Burundi autour de moi, leurs dossiers de demande d’asile dans les mains. Je pense aux textes d’Edward Saïd, de Selouha Luste Boulbina dont l’actualité me frappe malgré le temps.
Les conflits ne disparaissent pas. Continuellement nourris, ils se déplacent, glissent à peine.
Huit ans après, quinze ans après, vingt-quatre ans après : les villes appellent toujours.