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« Encore faut-il préciser ce que vous entendez par période historique, période que tout le monde pense définitivement connue, balisée. Mais à mon avis période historique qui reste trop circonscrite géographiquement à l’Amérique du Nord et à quelques pays d’Europe de l’Ouest. Quid des productions imprimées des pays dits à l’époque de l’Est et de celles d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil. Certaines à travers la poésie concrète sont bien connues). »

 

Didier Mathieu

8. Silveira, Paulo, traduit par Martin Didier, « Livres d’artistes au Brésil », Nouvelle revue d’esthétique, no 2, février 2008, p. 87-94 

Je ne parlerai dans ce mémoire ni d’Edward Ruscha, ni de Dieter Roth, ni de Laurence Weiner, ni d’aucune autre de ces modèles occidentaux dont je sais que je peux retrouver des écrits chez Anne Moeglin-Delcroix, Clive Philpott ou Leszek Brogowski[7]. J’aimerais au contraire faire disparaître ces figures tutélaires.


Le premier livre dont je vais parler est l’un des seuls que je n’ai pas eu en main.


CALDAS, Watercio,
O livro Velázquez, 1996
31 x 27 cm, 144 pages

 


Je prends connaissance du travail de Waltercio Caldas en lisant Livres d’artistes au Brésil[8] sur mon ordinateur. C’est l’été, je suis en vacances à Bruxelles et je pense à cet écrit comme à quelque chose d’informe et de lointain. Il n’y a pas encore de phrases, j’ai juste un cahier avec des citations d’Anne Moeglin-Delcroix et des vieilles notes de cours. J’ouvre et je referme les onglets sur mon navigateur au fur et à mesure de mes lectures. À la fin, il ne reste que les résultats d’images
d’O livro Velázquez.


Je suis traversée par quelque chose, à ce moment-là, je n’arrive pas à déterminer quoi. J’ai une grande sensation de vide et un sentiment de douceur qui remonte le long de mes doigts.


O livro Velázquez imite ce que Paulo Silveira qualifie de coffee table book, c’est-à-dire un beau livre : un livre à couverture souvent rigide, de grand format, destiné à entretenir la conversation autour d’un café. Il reproduit en somme un livre de salon sous une forme monographique, autour des œuvres de Diego Velázquez. Il coûte environ 3500 dollars reis, soit un peu moins de 800 euros et a été édité en 1500 exemplaires[9].


Ce que Google image me montre sont des reproductions de la couverture ou de certaines des pages de ce livre. Ce sont des photographies étranges qui paraissent ratées, comme si la mise au point s’était faite ailleurs. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. L’absence traverse toutes ses pages, les personnages ont disparu, ne restent que les pièces vides, comme voilées. Le texte lui aussi est flou : dépossédé de sa fonction et de son sens premier, il devient image. Ne subsistent que quelques lignes indistinctes.


C’est une publication qui cesse de montrer les figures que nous connaissons déjà ; des figures de pouvoir, connues et reconnues car elles sont ancrées dans l’histoire de l’art. Plus de Ménines, plus d’Innocent X, plus de Démocrite. Leur disparition nous laisse voir ce qui se trouve derrière : le décor que nous sommes tant habitués à voir en arrière plan de ces tableaux et auquel nous n’avons jamais prêté attention.


Il nous reste à plisser les yeux pour tenter de distinguer les contours du reste du monde

7. Vice président de l’Université de Rennes et enseignant-chercheur, il est également le fondateur du Cabinet du livre d’artiste au sein du même lieu et a entre autres dirigé Livres d’artistes : quels projets pour l’art ? Actes du colloque avec Anne Moeglin-Delcroix.

9. Selon taux de change au 29 janvier 2016

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